La sainteté dans l'Eglise
L’affirmation de la sainteté de l’Église, donc des baptisés, est l’une des certitudes néotestamentaires les plus accentuées. Comme Corps du Christ, comme Épouse ne faisant qu’une chair avec son Époux, comme la Jérusalem céleste, comme l’assemblée convoquée et sanctifiée, comme la Demeure, le Temple de l’Esprit qui est vie et sainteté, l’Église, c’est-à-dire tous les baptisés, participe à la condition du Fils de Dieu, du Saint de Dieu. Il est la tête, nous sommes les membres de son corps, participant donc de la même vie que lui, avec la même nourriture : faire la volonté du Père pour lui ressembler totalement par le Fils dans l’Esprit (Rm 1,7 ; 1Cor 1,2 ; 2Cor 1,1 ; 9,12 ; Ep 1,4 ; 1,15 ; Col 1,2 ; 1P 1,16 ; etc.). « La volonté de Dieu c’est votre sanctification » (1Th 4,3).
Être saint c’est donc tout d’abord être entré par le baptême, « bain de purification qu’une parole accompagne » (Ep 5,25), dans une relation absolument unique où désormais en nous Dieu ne voit pas seulement « un de ses fils », mais « son Fils » auquel nous sommes conformés, dont nous recevons l’empreinte, la marque, le caractère. « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ! » (Gal 2,20). L’agir suit l’être, puisque nous sommes « fils de Dieu » par l’Esprit qui nous transforme nous pouvons agir en produisant les fruits de l’Esprit (Ga 5,22-25).
La sainteté chrétienne n’est pas avant tout un volontarisme qui aurait quelque chose à mériter (jeune homme riche). C’est une ouverture à la gratuité du Don de Dieu, une aventure de grâce. Si être saint c’est être sauvé, si être sauvé c’est entrer dans la plénitude de réalisation de notre humanité, si notre plénitude c’est Dieu lui-même, si Dieu échappe à notre emprise... alors nous comprenons que seul Dieu peut nous ouvrir son cœur et nous inviter à sa vie. La réponse à cette invitation est sainteté et justification. La sainteté nous précède, nous rejoint, nous accompagne et nous attend...
Le baptême qui est l’entrée normale dans cette sphère de relation a son efficacité salvifique en vertu de la volonté du Christ Jésus qui est « le Chemin, la Vérité et la Vie ». Ni la quantité d’eau ni la répétition exacte d’une formule, ni les qualités morales ou spirituelles de celui qui administre ni même l’assurance et la volonté de celui qui reçoit ne peuvent, seuls, faire surgir cette créature nouvelle dans la justice et la sainteté. C’est seulement la confiance en la personne et la parole de Jésus qui confère aux sacrements leur efficacité. Toute la réalité de la foi s’appuie sur le dessein salvifique du Père, manifesté dans le Fils et qui nous rejoint par la force de l’Esprit sanctificateur. Donc, la sainteté chrétienne est avant tout cet accueil, cette docilité à l’Esprit-Saint qui répand l’amour de Dieu en nous, qui nous apprend à prier en disant « Abba ! », qui nous fait reconnaître que « Jésus est Seigneur », qui nous fait produire les fruits de la vie nouvelle, qui nous marque de son sceau et constitue notre avant-goût des réalités futures (Ep 1,13-15).
Quand nous disons sainteté il ne s’agit pas d’une situation d’éloignement de l’humain et presqu’une assurance hautaine d’une perfection atteinte, d’où je peux regarder avec commisération la masse immonde des pécheurs... Il n’y a pas d’arrivisme dans la sainteté. Celle que nous révèle le Christ est humilité, c’est l’abaissement, la « kénose », c’est considérer les autres plus que nous ; ne sommes-nous pas des « serviteurs" ? C’est reconnaître que le Père révèle ses secrets aux petits. La sainteté en Jésus-Christ n’est pas éloignement de la condition humaine, au contraire c’est une proximité, une assomption de tout l’humain, de tout homme parce qu’on ne peut être proche de Dieu sans se sentir ipso facto proche de chaque créature jaillie de l’élan d’amour du cœur du Père.
À la différence des normes morales et cultuelles de l’Ancien Testament, qui assuraient la pureté légale nécessaire pour se sentir en paix avec Dieu jusqu’à la satisfaction orgueilleuse du pharisien, Jésus nous parle de ce qui sort du cœur de l’homme et qui est sa vraie souillure... (Mc 7,14-23). Il nous parle du Bon Samaritain qui n’a pas peur de se salir, de se souiller, de s’approcher, d’être prochain, d’être frère... C’est lui le Saint ! C’est Jésus le Bon Samaritain, qui s’approche de nous et nous relève en nous révélant que le Père a fait de nous, pour nous, en nous des merveilles...
Jésus de condition divine... s’abaissera jusqu’à la mort et la mort de la croix ! « Maudit soit quiconque pend au gibet » dit le Deutéronome (Dt 21,23 ; Gal 3,13). La sainteté embrasse la malédiction qui pend sur les frères pour en faire une bénédiction dans l’éclatement de l’amour. Le Saint est le maudit crucifié ! Étrange logique de Dieu !
Ainsi donc c’est dans la ligne de l’amour vrai et total que l’homme peut deviner la sainteté de Dieu, la sainteté à laquelle Dieu l’appelle et l’invite. Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces et aimer le prochain comme soi-même vaut plus que tous les holocaustes et que tous les sacrifices. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort. Celui qui aime est né de Dieu et connait Dieu. Dieu est amour (1Jn 4,7 - 5,4).
« Quand je parlerais les langues des hommes et des anges,
si je n’ai pas la charité,
je ne suis plus qu’airain qui sonne ou cymbale qui retentit.
Quand j’aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science,
quand j’aurais la plénitude de la foi,
une foi à transporter les montagnes,
si je n’ai pas la charité,
je ne suis rien.
Quand je distribuerais tous mes biens en aumônes,
quand je livrerais mon corps aux flammes,
si je n’ai pas la charité,
cela ne me sert de rien... » (1Co 13,1-3)
La sainteté se situe dans la joie de l’amour et du pardon donné avant même que nous l’ayons voulu ou recherché, au-delà de ce que notre volonté peut imaginer ou désirer. L’amour n’est-il pas avec la foi et l’espérance, une vertu théologale, c’est-à-dire qu’il n’est pas le fruit de nos habitudes positives, mais un don de l’Esprit de Dieu (Rm 5,5) nous permettant de dépasser nos limites humaines ? Aimer ceux qui nous aiment, tous peuvent le faire, mais aimer l’ennemi, vouloir du bien à nos persécuteurs, c’est une réalité divine qui ne peut pas venir de nos forces. Seul Dieu peut nous apprendre à regarder chaque personne, chaque situation à la lumière de son amour.
Jésus nous l’a clairement dit, il ne s’agit pas seulement d’aimer les autres comme nous-mêmes, mais plus encore de les aimer comme lui, Jésus, nous a aimés. Ce « comme » est le signe distinctif du chrétien. « Comme Jésus », cela signifie que la seule référence, le seul modèle, la seule mesure que nous devons considérer à l’heure d’aimer, c’est le don total que Jésus nous a fait. C’est le grand mystère de l’incarnation qui s’accomplit pleinement dans la croix et la résurrection. Le Verbe s’est fait chair parce que Dieu a tellement aimé le monde ! Désormais l’homme peut s’approcher de Dieu en servant ses frères. Il y a un esclavage qui libère, c’est celui de l’amour total.
La sainteté n’est pas l’absence, l’abstraction, la retraite stratégique, la fuite de la réalité mais la plongée au cœur de ce qu’il y a de plus profond dans cette réalité, cette dimension où Dieu est constamment en train de créer, où la source coule toujours limpide. Il ne s’agit pas d’impeccabilité mais de lutte constante et acharnée pour que rien n’étouffe en nous la vie nouvelle.
Dans la logique des Béatitudes l’Esprit vient en aide à notre faiblesse pour que nous puissions dire « Abba ! » Pour que ce que nous sommes se manifeste : Fils de Dieu ! Et dans l’Église, communion des saints, chaque pécheur trouve sa place. Entrer dans l’espace de l’amour absolu pour entendre le Père nous dire : « Tu es mon fils bien-aimé, en toi j’ai mis toutes mes complaisances » et dire avec le Fils : « Abba ! » sous la mouvance de l’Esprit qui nous fait vivre le « Maranatha ! » de l’Épouse qui attend la rencontre définitive avec l’Époux : « Viens ! » (Ap 21).
Les sacrements, la Parole de Dieu, la fraternité, la recherche quotidienne de la volonté de Dieu, tout cela nous ouvre à la prière, à une dimension nouvelle de notre être : être prière, être dialogue vital avec l’absolu deviné dans le relatif qui nous entoure et dans la trace d’infini que révèle le visage de l’autre. Être cette flamme toujours ardente. Se laisser toucher, purifier et enflammer par la braise venant de l’autel du trois fois saint (Is 65,3-9). Devenir action de grâces (Eucharistie) et témoin (Martyr), porteur de l’Esprit pour que nous soyons « saints et irréprochables devant sa face, dans l’amour... à la louange de gloire de sa grâce » (cf. Ep 1).
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