Lundi29Avril5ème Semaine de Pâques
Sainte Catherine de Sienne
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"Femme, voici ton fils ! - Voici ta mère!" ~ Mèsi Bondié pou sékou Manman Notre-Dame !

La Vénérable Elisabeth Lange
(≈1783-1794 -- 3 février 1882)
Fondatrice des Soeurs Oblates de la Providence à Baltimore en 1828

Sr. Marie (Elisabeth Clarisse Lange)


 Introduction

Le 2 juillet 1829, à Baltimore, quatre jeunes filles  - originaires d’Haïti ou descendantes d’Haïtiens - prononcèrent les vœux après une année de noviciat pour former la première communauté de religieuses de race noire dans l’Église catholique en Amérique : les Sœurs Oblates de la Providence.  Elles s’appelaient : Elisabeth Lange (elle prit le nom de Sr. Marie), Marie Magdeleine Balas (Sr. Françoise), Marie Rose Bouegue (Sr. Rose), Marie Thérèse Almaïde Maxis Duchemin (Sr. Marie Thérèse).

Vraiment providentiels furent les débuts, la croissance et la permanence de cette semence jetée en terre américaine qui donnera de si beaux fruits dans l’éducation des jeunes noirs au temps de l’esclavage aux Etats-Unis, à Cuba et au Costa-Rica.  Son avenir n’en sera pas moins providentiel.

P. Joubert de la Muraille« J’ai cru y voir le doigt de Dieu »,[1] « Digitus Dei est hic », déclara l’évêque de Baltimore, James Whitfield, pour encourager les Sœurs à aller de l’avant malgré les difficultés.  Dieu a été présent et c’est lui qui par son Esprit a inspiré et illuminé Elisabeth Lange et ses premières compagnes ainsi que le P. Jacques Hector Nicolas Joubert de la Muraille à entreprendre cette aventure spirituelle et éducative pour le bien des noirs dans une société esclavagiste où ils étaient considérés comme des animaux.

Les pages du Journal du P. Joubert et les premières Constitutions de la communauté nous permettent de suivre les pas de ces pionnières qui ont découvert leur vrai Maître, le Christ Jésus, leur Seigneur, et qui ont voulu librement le servir en mettant toute leur existence au service des marginaux qu’étaient les enfants noirs en Amérique.  Elles rejoignaient, et cela de manière consciente, la longue lignée des témoins de l’Evangile qui se sont penchés sur le sort des noirs tout au long de l’éclipse de la raison et de la charité qu’a été le « magnus scelus »,[2] le crime énorme de la traite des noirs et de l’esclavage des temps modernes. 

Nous pouvons penser que le jour de la première profession de ces jeunes créoles,  Saint Benoît de Saint Philadelphe mort en 1589 en Sicile, béatifié en 1592, premier noir canonisé en 1807, a dû se réjouir  -  en compagnie de Saint Martin de Porrès, mulâtre du Pérou mort en 1639 canonisé en 1962, et de Saint Pierre Claver l’apôtre des esclaves noirs de Colombie mort en 1654, canonisé en 1888,   -  de voir les fils de l’Afrique en Amérique commencer à vivre ensemble les conseils évangéliques sur les traces du Christ qu’ils avaient eux-mêmes suivi.

L’aventure de ces jeunes filles doit être considérée comme une étape importante du long processus d’émancipation des noirs qui a commencé avec la proclamation de l’indépendance d’Haïti en 1804 par les esclaves révoltés de Saint-Domingue, ancienne colonie française, qui devenait le premier état indépendant de l’Amérique après les Etats-Unis. 

Elles avaient découvert une liberté plus grande et une dignité plus haute qu’un simple acte d’affranchissement, puisqu’elles avaient compris qu’elles étaient filles de Dieu en Jésus-Christ, le Seigneur et Maître qui nous a invités à l’imiter dans le lavement des pieds de nos frères.  Le disciple authentique est celui qui perçoit dans ce geste la vraie grandeur de l’abaissement du Fils de Dieu par amour pour nous les hommes.  C’est ce geste qui remporte la victoire sur les démons de l’avoir, du pouvoir et du jouir qui réduisent l’humain en esclavage, le véritable esclavage puisqu’il lie notre volonté et aveugle notre intelligence. Par leur profession religieuse elles devenaient parfaitement libres pour aimer.

Les Sœurs Oblates de la Providence vont travailler à la pleine émancipation des noirs en éduquant les nouvelles générations pour qu’elles puissent assurer à leur tour la formation de leurs enfants.  Le P. Joubert l’exprime clairement dans les premières Constitutions des sœurs : « L’éducation des enfants qui leur seront confiés est beaucoup plus intéressante qu’on ne l’imagine.  Ces petites filles deviennent presque toutes mères de famille ou entrent en condition.  Si dans l’école on les forme à une vertu solide, on élève leurs sentiments ; devenues mères de famille, et toujours chargées directement et presque seules de l’éducation de leurs enfants, elles leur inspirent des principes de religion, de décence et de probité.  On les a vus souvent se perpétuer dans la famille, les distinguer et ne devoir leur origine qu’à une aïeule vertueuse qui les y a transmis, comme par droit d’héritage » (Const. art. 9 p. /17-18/).

Presque deux siècles se sont déjà écoulés, et ce n’est pas sans émotion qu’on lit le récit de leurs débuts :  la simplicité et l’austérité même de ces premières années ; la force d’âme et de conviction qu’il a fallu à ces jeunes filles pour porter leur habit de religieuses sous le regard méprisant des habitants d’une ville ostraciste ; la détermination dans le travail d’éducation des enfants noirs, entreprise considérée comme inutile à l’époque;  la respectueuse fermeté et l’affirmation de leur dignité par la pratique de la vertu.   Nous y voyons aussi la claire vision de la dignité humaine vécue par le P. Joubert et la plupart des prêtres Sulpiciens de Baltimore qui s’étaient mis au service des créoles immigrés.

Les sources principales de l’histoire des Sœurs et de Mère Lange en particulier se trouvent aux Archives des Sœurs Oblates de la Providence à Baltimore et aux Archives des Sulpiciens.[3]  Rédigés au début en langue française, ces documents sont des témoins crédibles: 

Le procès de béatification et canonisation de Sœur Marie (Elisabeth Lange) déjà entamé par l’Archidiocèse de Baltimore est une excellente occasion pour découvrir ces figures éminentes de la communauté noire de Baltimore.

La première biographie proprement dite de Mère Lange a été écrite par Sœur Thérèse Catherine Willigman entre 1897 et 1912 en hommage à Sœur Marie Magdalen Cratin pour son anniversaire.  Sœur Thérèse Catherine Willgman  entra dans la communauté en 1839 et fut supérieure générale de 1885 à 1897, elle connaissait bien les situations qu’elle décrit et avait accès aux archives de la communauté.  Cependant, elle indique Santiago de Cuba comme lieu de naissance de Mère Lange ce qui n’est pas confirmé.  Les pistes conduisent plutôt vers Haïti comme origine de la famille avec un séjour relativement long à Cuba d’où Mère Lange et sa mère Nanette Lange seraient venues aux Etats-Unis.

Pourtant le Décret reconnaissant l'héroïcité des Vertus de Mère Lange ne porte aucune trace ou référence à Haïti... (voir la page du Dicastère pour la Cause des Saints). Qui sait pourquoi? Providentia providebit...

La biographie de Sœur Willigman nous invite à suivre les traces de Mère Lange pour découvrir les débuts de l’accueil du charisme des Oblates de la Providence dans le cœur de cette jeune fille mais aussi pour deviner un chemin de fidélité à l’Esprit en vue du renouvellement de la communauté qu’elle a fondée.

Le témoignage hors pair  de l’action de l’Esprit de Dieu dans le cœur des enfants de l’Église nés en Haïti mérite d’être connu, accueilli et imité.  C’était le vœu du P. Joubert que les Oblates de la Providence puissent s’installer et travailler en Haïti,[4] peut-être que maintenant cela pourra se réaliser. Il faut  jeter un pont entre les défis du glorieux passé de ces héroïques filles d’Haïti et ceux du temps présent.  Elles ont été solides dans leur foi et efficaces dans la charité, aujourd’hui il nous faut autant de foi, d’espérance et de charité héroïques pour relever les défis qui se présentent à nous. 

Sr Marie Elisabeth Lange a été déclarée Vénérable par le Pape François le 22 juin 2023.

L’écusson actuel des Sœurs exprime les vertus essentielles qu’elles voudraient incarner pour vivre la spiritualité de l’Oblation à la Providence de Dieu à la suite d’Elisabeth Lange.

Une Croix blanche divise le fond bleu en quatre parties.  Dans les deux parties supérieures il y a respectivement une ancre et une fleur de lis.  Dans les inférieures une fleur de lis et un cœur.

La Croix représente l’humilité qui doit caractériser de manière particulière les Oblates ;  l’ancre représente la confiance qu’elles ont dans le Dieu Tout-Puissant ;  le cœur représente l’amour qu’elles doivent donner à tous les enfants pour l’éducation desquels elles ont dédié leur vie comme religieuses.  Les lis représentent la pureté de cœur et d’intention.  Ils symbolisent aussi l’Oblation complète d’elles-mêmes et leur dépendance de la Divine Providence en rappelant les paroles de Notre Seigneur : « Considérez les lis, comme ils ne filent ni ne tissent.  Or, je vous le dis, Salomon lui-même, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux. » (Luc 12,27).

« Providentia providebit » 
« La Providence y pourvoira »
« Dieu y pourvoira »

 


[1]   Annales I, p. /10/, 17 juin 1829. 

[2] C’est ainsi que le Pape Pie II a qualifié la traite des noirs dans une lettre  à un évêque missionnaire qui partait pour la Guinée en octobre 1642.  Le Pape Jean-Paul II l’a cité dans son discours à la maison des esclaves dans l’île de Gorée au large du Sénégal le 22 février 1992 quand il a imploré le pardon du ciel pour les fils de l’Eglise qui n’ont pas vécu leur foi et n’ont pas été fidèles au commandement de l’amour puisqu’ils ont réduit leurs frères en esclavage, cf. La Documentation catholique 5, avril 1992, no. 2047, p. 324;  cf. Mansi Joannes Dominicus, Annales ecclesiastici ab anno MCXVIII.  Lucques, Typis Leonardi Venturini, 1753,  t. 10, p. 341B.

[3]   Archives of the Oblate Sisters of Providence, Baltimore, Maryland.;  Sulpician Archives, Baltimore, Maryland.

[4] Cf. la lettre du P. Joubert au P. Kohlman à Rome le 10 mars 1833, 491r,  p. 313 : « Je vais donc, comme vous me le conseillez donner tous mes soins à [la] consolidation de la belle et importante œuvre (c’est ainsi que vous la [nommez]) dont, dans les vues de la Divine Providence, j’ai été l’instrument à Baltimore, la congrégation des Oblates.  J’espère un jour que cette société sera établie à Hayti.  Jusqu’ici elle n’a cessé d’être l’objet des soins tous particuliers de la Divine Providence.- Le doigt de Dieu est là. »

 

©MEH - 30 juin 2023