Lundi29Avril5ème Semaine de Pâques
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Reliques du Vén. Pierre Toussaint

   Par un heureux concours de circonstances, sous le regard de la Divine Providence, Pierre Toussaint est un des rares noirs des temps modernes, simple ancien esclave, dont des portraits, des documents et des restes authentiques nous soient parvenus à cause du respect, de la gratitude et de l’amour qu’il inspirait. Avec le procès de béatification et la reconnaissance de ses vertus chrétiennes héroïques ce qui nous reste de lui devient en quelque sorte « relique sacrée », même s’il faut attendre la béatification pour les traiter ainsi officiellement et les proposer à la vénération des fidèles par un culte public.

  • Place des reliques dans la prière et la vie des baptisés

  La vénération des reliques des saints est une forme de piété populaire reconnue dans l’Église comme le dit le Catéchisme de l’Église catholique (CEC) au numéro 1674 : « Le sens religieux du peuple chrétien a, de tout temps, trouvé son expression dans des formes variées de piété qui entourent la vie sacramentelle de l’Église, tels que la vénération des reliques, les visites aux sanctuaires, les pèlerinages, les processions, le chemin de croix, les danses religieuses, le rosaire, les médailles, etc. (cf. Cc. Nicée II : DS 601 ; 603 ; Cc. Trente : DS 1822) ». Évidemment, « un discernement pastoral est nécessaire pour soutenir et appuyer la religiosité populaire et, le cas échéant, pour purifier et rectifier le sens religieux qui sous-tend ces dévotions et pour les faire progresser dans la connaissance du Mystère au Christ (cf. CT 54). Leur exercice est soumis au soin et au jugement des évêques et aux normes générales de l’Église (cf. CT 54) » (CEC 1676). « Tout en veillant à les éclairer par la lumière de la foi, l’Église favorise les formes de religiosité populaire qui expriment un instinct évangélique et une sagesse humaine et qui enrichissent la vie chrétienne » (CEC 1679).

  Comme pour les saintes images, les reliques des saints sont vénérées en fonction du lien qu’elles ont avec un authentique fils de Dieu et parce qu’elles renvoient à l’action de Dieu dans l’histoire de son peuple. Cette vénération qui n’est pas une « latrie », « n’est pas contraire au premier commandement qui proscrit les idoles. En effet, “l’honneur rendu à une image remonte au modèle original” (S. Basile, Spir. 18, 45 : PG 32, 149C), et “quiconque vénère une image, vénère en elle la personne qui y est dépeinte” (Cc. Nicée II : DS 601 ; cf. Cc. Trente : DS 1821-1825 ; Cc. Vatican II : SC 126 ; LG 67). L’honneur rendu aux saintes images est une “vénération respectueuse”, non une adoration qui ne convient qu’à Dieu seul : Le culte de la religion ne s’adresse pas aux images en elles-mêmes comme des réalités, mais les regarde sous leur aspect propre d’images qui nous conduisent à Dieu incarné. Or le mouvement qui s’adresse à l’image en tant que telle ne s’arrête pas à elle, mais tend à la réalité dont elle est l’image (S. Thomas d’A., s. th. 2-2, 81, 3, ad 3) » (CEC 2132).

  Cette vénération respectueuse est fondée sur le fait que « dès l’Ancien Testament, Dieu a ordonné ou permis l’institution d’images qui conduiraient symboliquement au salut par le Verbe incarné : ainsi le serpent d’airain (cf. Nb 21, 4-9 ; Sg 16, 5-14 ; Jn 3, 14-15), l’arche d’Alliance et les chérubins (cf. Ex 25, 10-22 ; 1 R 6, 23-28 ; 7, 23-26) » (CEC 2130).

  Plus directement encore pour les reliques, on trouve des témoignages dans l’Ancien et le Nouveau Testament montrant que Dieu agit aussi, selon sa volonté, par le moyen de ces reliques des justes et des saints. C’est le cas pour les ossements du prophète Élisée qui ressucitèrent un mort (2 R 13, 20-21), pour les mouchoirs qui avaient touché le corps de Paul (Ac 19, 11-12), ou même l’ombre de Pierre qui guérissait les malades (Ac 5, 15), pour ne pas mentionner ce qui concerne le corps du Verbe incarné lui-même.

  Le Code de Droit canonique stipule au can. 1186 : « Pour favoriser la sanctification du peuple de Dieu, l’Église recommande à la vénération particulière et filiale des fidèles la Bienheureuse Marie, toujours Vierge, mère de Dieu, que le Christ a établie Mère de tous les hommes, et elle favorise le culte véritable et authentique des autres Saints, dont l’exemple en vérité édifie tous les fidèles et dont l’intercession les soutient ». Puis au can. 1187 : « Il n’est permis de vénérer d’un culte public que les serviteurs de Dieu qui ont été inscrits par l’autorité de l’Église au catalogue des Saints ou des Bienheureux ». Cela vaut a fortiori pour leurs reliques, bien qu’il faille les entourer de respect et les protéger en alimentant la connaissance et l’imitation de leur vie dans la dévotion privée des fidèles jusqu’à ce que l’autorité de l’Église confirme avec certitude ce vers quoi tendait le sensus fidelium et le témoignage de ceux qui les ont connus ou qui ont expérimenté leur intercession auprès de Dieu.

  • Que nous reste-t-il du Vénérable Pierre Toussaint?

Les principaux restes du Vénérable Pierre Toussaint sont: a) Son squelette. b) Sa correspondance. c) Les miniatures de sa famille. d) Sa photo.

      a) Le 30 juin 1853, après ses funérailles, Pierre Toussaint fut enterré au cimetière attenant à l’ancienne cathédrale Saint Patrice de New York dans la tombe où il avait enseveli sa fille adoptive Euphémie et son épouse Juliette. Sa mémoire demeura vivante dans toutes les familles qui avaient été touchées par sa charité et sa foi. La rédaction même des Mémoires de Pierre Toussaint par son amie Hannah F. Sawyer Lee, nous prouve l’estime, l’affection et le respect qu’il inspirait. Les familles Schuyler, Binsse, Lafarge maintinrent le feu de sa connaissance. Le « Catholic Interracial Council », la « Interracial Review » et le « O’Reilly Committee for Interrracial Justice » aidèrent à conserver sa renommée de sainteté. Le P. Charles H. McTague après des recherches minutieuses retrouva sa tombe et, en 1951, le Cardinal Francis Spellman procéda à la bénédiction d’une plaque en l’honneur de Pierre qu’on y plaça.
  Au cours du procès diocésain commencé le 5 décembre 1989, on procéda, le premier novembre 1990 à l’exhumation et à la reconnaissance des restes du Serviteur de Dieu au cimetière de l’Ancienne Cathédrale S. Patrice de New York. Ils furent transportés le 4 décembre 1990 dans la crypte sous le maître-autel de l’actuelle Cathédrale S. Patrice, 5th Ave.

  Ce squelette est la « relique » la plus importante du désormais Vénérable Pierre Toussaint. Mais ce qui a été détaché des ossements au cours de la reconnaissance par l’équipe de médecine légale (forensic team) ne s’est pas perdu et se trouve maintenant en Haïti au siège de l’Association philanthropique Food for the Poor à Port-au-Prince.

     b) Plus de 2000 documents ayant appartenu au Vén. Pierre Toussaint se trouvent à la Bibliothèque Publique de New York. Conservés par la famille Schuyler et confiés par leur descendante Georgina Schulyer en 1903 à la « New York Public Library », ils peuvent tous être considérés comme d’authentiques « reliques » de Pierre T. dans la mesure où ils ont eu un contact direct avec lui, en particulier les manuscrits qui portent son écriture.

     c) Avant la mort d’Euphémie, le 11 mai 1829, Pierre avait fait exécuter les portraits en miniature de sa femme, de sa fille et de lui-même. Ces miniatures qu’on pourrait dater de 1825 portent la signature d’Antonio Meucci et furent, elles aussi, conservées par la famille Schuyler avant que Georgina Schuyler n’en fasse don en 1920 à la « New-York Historical Society ».

     d) La « Columbia University » conserve la seule photographie connue de Pierre Toussaint, probablement la première d’un noir du continent américain photographié seul. Elle a servi pour l’identification de son corps lors de l’exhumation.

  • Accueil d’une partie de ses restes en Haiti

  Le 28 février 2020, la petite chapelle de Food For The Poor (FFP) accueillait une partie des restes du Vénérable. Par le biais de Daniel Gérard Rouzier, président du conseil de l’organisation, ce qui avait été détaché de ses os est arrivé en Haïti.
  À l’époque, en 1990, le Dr Maryse Prézeau, cousine de Daniel G. Rouzier, travaillait à la « City University of Technology of New York » et son collègue le Dr Spencer Jay Turkel faisait partie de l’équipe d’exhumation. Elle lui a donc demandé de lui conserver une partie du sable dans lequel le corps de Pierre Toussaint a décomposé. Aussi, les os, bien nettoyés ont été remis à l’archidiocèse et le Dr Prézeau a conservé chez elle, pendant environ dix ans, cette partie des reliques, comme elle l’explique dans la lettre qui accompagne le don qu’elle en fait à Haïti.
  Dans sa lettre d’authentification, le Dr Turkel affirme : « Le matériel que j’ai remis au Dr Prézeau provient du sol qui était en contact direct avec les os de Pierre Toussaint dans la tombe. Ce sol, qui a pu être mélangé à sa chair en décomposition, est associé empiriquement au corps de Pierre Toussaint dans la mesure où il a été gratté de ses os».

  Une célébration eucharistique a été organisée en cette circonstance, présidée par Mgr Pierre André Dumas, évêque des Nippes avec la présence de plusieurs prêtres de l’Archidiocèse, de Mgr Ogé Beauvoir de l’Eglise Épiscopale d’Haïti, directeur exécutif de FFP, et des officiels du gouvernement. Le peintre Philippe Attié a préparé un portrait de Pierre Toussaint à partir de la miniature. L’urne où se trouve les restes est conservée dans une niche vitrée et blindée. Un témoin oculaire a décrit ainsi l’événement :

« L’expérience de ce matin était quelque chose d’unique… D’abord une incompréhension… Pourquoi cette cérémonie à Food For The Poor et pas dans une Église ? Puis au fur et à mesure que la cérémonie se déroulait, un fait s’imposait : si quelqu’un avait voulu créer une telle situation, il n’aurait pas pu aussi bien réussir : Une trentaine de membres du gouvernement - je pense - qui ne savaient peut être pas exactement ce qu’ils faisaient là... beaucoup de journalistes, l’équipe de FFP, un bel orchestre... Un discours génial de Daniel Rouzier… Un accent sur la philanthropie… La présence de plusieurs religions y compris le Vaudou… Finalement avec la présence des médias, je pense que Pierre a été découvert aujourd’hui par un nombre  de personnes beaucoup plus grand que si ça avait eu lieu dans une Église… Les juifs s’en étant montrés indignes, voilà que "tout le peuple" bénéficie de cette révélation !!! Bravo ! Bien joué ! En tout cas c’est comme ça que j’ai compris ce qui s’est passé ce matin… Je suis contente, cette présence des reliques est une grâce que j’ai ressentie aujourd’hui » (Courriel de Sr. Paësie, Famille Kizito, le 29 février 2020).

Les documents suivants vous permettent de mieux comprendre les sens de cette cérémonie d’accueil des restes du Vén. Pierre Toussaint :

a) Discours de M. Daniel-Gérard Rouzier le 28 février 2020.
b) Lettre du Dr. Maryse Prézeau le 22 août 2019.
c) Lettre du Dr. Spencer Jay Turkel le 21 août 2019.

d) Entrevue de Ayibopost avec le P. Maurice E. Hyppolite le 26 février 2020.

  Widlore Mérancourt: Bonjour mon père. Je suis Widlore Mérancourt, journaliste à Ayibopost. J’écris un article sur le rapatriement d’une partie des restes de Pierre Toussaint en Haïti. Je souhaiterais m’entretenir avec vous sur le sujet. Il est en route pour devenir saint. Ce serait, il me semble, une grande première en Haïti.

     1. Que veut dire pour vous le rapatriement d’une partie des restes de Pierre Toussaint en Haïti ?

  Maurice Elder Hyppolite:

     1. En principe, les restes de Pierre inhumés au cimetière de l’ancienne Cathédrale Saint Patrice auprès de son épouse Juliette et de sa fille adoptive Euphémie ont été exhumés, analysés et reconnus le 1er novembre 1990. Les os ont été transportés le 4 décembre 1990 dans la crypte sous le maître-autel de l’actuelle Cathédrale Saint Patrice à la 5e Ave. de Manhattan. Donc les restes du Vénérable Pierre Toussaint s’y trouvent officiellement et ce n’est pas de cela qu’il s’agit puisque seul l’Archidiocèse de New-York peut en disposer. Par contre, les parties molles, chair et autres, mêlées à la terre n’ont pas été jetées et furent recueillies par un des membres du « Forensic Team » pour les donner à quelqu’un d’origine haïtienne qui a voulu les rendre à son pays.  C’est un geste d'une haute portée historique, symbolique et spirituelle.

Historiquement, le lien de Pierre avec sa terre est indéniable, il voulait y revenir à un moment donné, mais sa famille et ses amis l’en ont dissuadé... les troubles d’alors ressemblent à ceux d’aujourd’hui mutatis mutandis

Symboliquement, ce retour providentiel de la chair de Pierre en Haïti est comme un accomplissement de son désir et une récompense pour tout le bien qu’il a fait pour les Haïtiens aux USA et chez nous de son vivant...

Spirituellement, c’est le signe d’une proximité plus grande avec son peuple et comme un prolongement de sa mission de témoin de l’évangile. L’Église ne s'est pas encore prononcée définitivement pour sa béatification ou sa canonisation, mais en reconnaissant l’héroïcité de ses vertus humaines et chrétiennes elle confirme le caractère hors pair de cet homme précisément sur le plan de l’intimité avec Dieu. Nous le savons, « Il n’est pas le Dieu des morts mais des vivants car tous vivent pour lui » (Lc 20,38), et aussi que rien ne peut séparer du Christ ceux qui vivent et meurent dans son amour, « ni la mort, ni la vie... rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu » (Rm 8,38-39). Nous pouvons donc prier plus intensément avec le Vénérable de façon privée pour obtenir par lui les grâces dont nous avons besoin « la supplication fervente du juste a beaucoup de puissance » (Jc 5,16). 

W. M. :     2. Y a-t-il un travail supplémentaire à faire pour que ce personnage soit mieux connu dans le milieu catholique haïtien ?

M. E. H. :  Tout le travail est à faire... Beaucoup d’Haïtiens ne le connaissent pas ou le connaissent mal... Il est donc important que sa lumière traverse beaucoup plus de coeurs chez nous pour que le cadeau de Dieu qu’il représente ne soit pas méprisé... Dans notre pays nous n'avons pas seulement des guerriers et généraux héroïques, mais aussi des sages héroïques et des saints... Donc il faut faire connaître de manière correcte, historiquement documentée et pas superficiellement ou idéologiquement déformée, ces valeurs hors pair pour relever l’homme Haïtien écrasé... Ce sont des expressions diverses de la grandeur humaine qui foisonnent dans notre peuple et qu’on s’acharne à nous faire oublier ou tout simplement à ignorer...

W. M. :     3. Pierre Toussaint a été critiqué pour sa décision de rester auprès de sa maîtresse après la mort du mari de cette dernière, alors même qu’il pouvait se libérer. Que pensez-vous de cet aspect de sa vie et du fait qu’il n’a pas été actif dans les luttes abolitionnistes aux États-Unis ?

M. E. H. :  La relation maître - esclave à Saint Domingue, colonie française, était bien plus complexe que nos clivages simplistes. On pourrait reprocher aussi à Toussaint Louverture d’avoir protégé la femme de son maître, Mme Libertat, contre les esclaves révoltés, et bien d’autres exemples qu’on pourrait encore citer. Mais deux éléments doivent être retenus pour comprendre Pierre Toussaint : il avait une relation positive avec les Bérard qui ne l’ont jamais maltraité ; il tenait à la liberté et à l’époque la seule façon de la garantir définitivement c’était un acte d’affranchissement dûment authentifié. Il s’évertuait à en procurer à ses frères tout comme à leur apprendre un métier pour qu’une fois la liberté retrouvée ils puissent la conserver par un travail digne...

W. M. :     4. Food for the Poor est prêt à rendre les restes à l'église catholique. Que devrait en faire l'église à votre avis ?

M. E. H. :  Il serait bon qu’un jour nous puissions édifier un sanctuaire national digne de ce nom où nous pourrions pieusement recueillir pour l’histoire et pour l’avenir les reliques des saints d’Haïti comme le Mupanah recueille et protège celles des Héros d’Haïti... Le Bienheureux Jacques Jules Bonnaud, le Vénérable Pierre Toussaint, les Servantes de Dieu Elisabeth Lange et Camélia Lohier, le Serviteur de Dieu Farnèse Louis Charles et tant d’autres à venir... Mais le plus important c’est que nos saints, les vrais chrétiens d’Haïti deviennent pour nous des amis, des appuis et surtout des modèles de fidélité au Christ que nous sommes fiers d’imiter...

W. M. : Où en sommes-nous avec les démarches afin que Pierre Toussaint soit reconnu comme « Saint » ? Les autorités ecclésiastiques haïtiennes sont-elles parties prenantes de la démarche ?

M. E. H. : La cause dépend de l’archidiocese de New-York. Les évêques d’Haïti peuvent seulement encourager la connaissance et la compréhension de ce que ce processus signifie.

W. M. : Dernière question : N’aurait-il pas été de bon ton que ces reliques de Pierre Toussaint soient accueillies par une église catholique romaine ?

M. E. H. : Cela viendra certainement... Mais vu la situation du pays il ne faut pas trop demander et surtout que la dévotion publique envers le Vénérable dépend encore de sa béatification... autrement il s’agit de dévotion privée. Mais, saviez-vous que c’est une protestante qui a écrit la première biographie de Pierre et que les protestants qui le connaissaient le considéraient comme un saint ? Un vrai chrétien ?

W. M. : Ah bon. Je ne le savais pas...

M. E. H. : Bonne occasion pour le découvrir…

W. M. : Merci pour les réponses.

 


Jeunes du Groupe Pierre Toussaint de Delmas 31 en compagnie de l'acteur comique Jacques Bourjolly (alias Kako) à la fin de la célébration.